- Philippe De Grandpré
La dépendance aux opiacés : comment l'éviter?

Voici le troisième article d’une série de 4 portant sur la famille médicamenteuse des opiacés. Après avoir présenté la famille de produits et les outils à la portée des pharmaciens pour mieux prescrire, et l’importance d’une bonne évaluation bio-psycho-sociale, voici que Philippe De Grandpré nous parle des risques de dépendance.
Quelles mesures prendre pour éviter que nos patients développent de la dépendance aux opioïdes?
Il est important de distinguer la dépendance de l’usage abusif et de la toxicomanie.La dépendance physique est une réaction d’adaptation du corps à la présence d’opiacés. Elle se manifeste par des symptômes de sevrage à l’arrêt de la médication. Ce phénomène survient chez pratiquement tous les patients prenant des opiacés à long terme. Il s’agit d’un phénomène normal : le patient éprouvera des symptômes de sevrage lors d’un arrêt brusque de la médication.
Les symptômes de sevrage sont souvent qualifiés de pseudo-grippaux. On peut retrouver plusieurs des symptômes suivants : sensation de malaise ou douleur importante, écoulement nasal, sudation, diarrhée, vomissements, larmoiement, bâillements, etc. La seule mesure pour prévenir la dépendance aux opiacés est leur utilisation à court terme… Mais dans le cas d’une personne souffrant de douleurs chroniques, ce n’est pas possible. La dépendance physique est donc une conséquence obligée dans la prise d’opiacés.
L’usage abusif se définit par l’utilisation d’un médicament à des fins non médicales, comme pour altérer son état de conscience ou obtenir un effet d’euphorie (un « high »). On voit dans ce cas que l’utilisation de la médication n’est pas dans le but de traiter la douleur.Pour la toxicomanie, on parle d’une maladie neurobiologique chronique primaire, sous l’influence de facteurs environnementaux, psychosociaux et génétiques.Les caractéristiques comportementales sont les suivantes : incapacité de contrôler son utilisation de médicaments, utilisation compulsive, poursuite de l’utilisation malgré les préjudices subis, état de manque…
Certains comportements sont évocateurs :
Vente de médicaments
Altération des produits d’ordonnance
Vol de médicaments
Injection ou inhalation des préparations orales
Obtention de médicaments auprès de sources non médicales (rue, famille, amis)
Utilisation concomitante de médicaments ou d’alcool
Non-observance du plan de traitement (utilisation plus fréquente ou doses plus élevées)
Perte d’ordonnances
Obtention de médicaments auprès de plusieurs prescripteurs ou du service d’urgence
Détérioration des capacités professionnelles, familiales et sociales attribuables à la consommation de médicaments
Refus de changer de traitement malgré la présence d’effets indésirables inacceptables
Pour prévenir les problèmes, il faut évaluer correctement le patient sous plusieurs aspects avant de commencer le traitement. Avant d’entreprendre un traitement opiacé, on se doit de bien évaluer les aspects bio-psycho-sociaux du patient afin de savoir à qui on a affaire.
Comment approcher le sevrage d’opioïdes?
Cela dépend des objectifs visés. Veut-on faire une substitution thérapeutique, ou simplement cesser le traitement? Veut-on cesser le traitement rapidement suite à une intoxication?Dans ce cas, le sevrage se fait souvent à l’hôpital de façon « cold turkey », c’est-à-dire qu’on cesse le traitement aux opiacés du jour au lendemain en introduisant une médication pour diminuer les symptômes de sevrage.
La cessation d’opiacés, dans le cas d’un patient que l’on veut sevrer pour différentes raisons qui ne mettent pas sa vie en danger, doit être individualisée. On parle souvent d’une diminution de 10 % de la dose aux 1 à 4 semaines selon la tolérance du patient. Le sevrage peut être plus rapide si le patient le désire ou qu’il y a nécessité et qu’il est prêt à accepter des symptômes de sevrage temporaire.
Il n’y a malheureusement pas de recette précise pour tous; il faut évaluer le but du sevrage et le patient qui se trouve devant nous.
Par Philippe De Grandpré Pharmacien spécialisé en douleur chronique